Friday, July 21, 2023

Ophir - Prologue

 


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« Il y a un temps que je souhaite pouvoir arrêter pour toujours. Cet instant où une personne que j’aime rencontre la mort. C’est un temps que je ne veux pas voir, je ne veux pas croire que je ne puisse rien faire, que je suis complètement impuissante. » – Crystal Havens


Son corps était couvert de sang. Tellement de sang que sa tunique turquoise n’avait plus rien de bleu. Il avait de plus en plus froid et de moins en moins de contrôle sur ses paupières. De toutes ses forces, il souhaita être dans sa chaumière, ne serait-ce que pour en graver l’image une dernière fois. L’herbe disparue soudain sous son corps et il se retrouva dans son petit salon en face du feu, couché sur le tapis fleuri qu’avait conçu sa fille. 

Crystal ! 

Il n’avait pas songé à ce qu’elle dirait en le voyant dans cet état. Et il n’eut pas à chercher longtemps.

« Papa ! », cria l’adolescente de surprise et de peur avant de laisser tomber son panier de linge et se hâter à ses côtés. 

Elle parlait. Beaucoup trop rapidement. Ou peut-être elle criait. Il n’en était pas sûr, son ouïe lui faisant gravement défaut, et sa vue se brouillant de plus en plus. La jeune fille passait avec anxiété ses mains recouvertes de son aura magique par-dessus le corps en piteux état de son géniteur, essayant de fermer ses nombreuses plaies. 

Un rire échappa des lèvres de Kalen, vite transformé en des toussotements sanguinolents qui ravivèrent des douleurs dans tout son corps. Ah, se disait-il, tout cela était d’une telle ironie. L’adage était vrai : qui sème le vent récolte la tempête. Au moins il pourra dire qu’Andra avait raison.

« Crystal, murmura-t-il faiblement.

- Concentre-toi, le supplia-t-elle les yeux rouges. Toi aussi concentre-toi. » 

Ses larmes coulaient en de grosses gouttes. Elle devait sans doute le savoir. Jamais elle n’aurait la puissance nécessaire pour le soigner à elle toute seule.

Il aurait aimé parler, lui laisser des instructions, ou pouvoir ne serait-ce que faire ses adieux en bonne et due forme. Mais sa gorge ne voulait rien entendre. Elle était brûlante et douloureuse ; et ses lèvres lui semblaient peser une tonne.

« Papa concentre-toi je t’en prie, essaya-t-elle de nouveau, des sanglots dans la voix ». 

Il fallait qu’il se batte, qu’il lui donne un coup de pouce ne serait que pour refermer les plaies les plus béantes et dangereuses ; à commencer par celle de son estomac, ensuite viendrait celle qu’il avait à la poitrine. Etait-ce son os qu’elle pouvait entrapercevoir ? Elle déjà pâle depuis son entrée dans la petite salle, blêmît encore plus, ses larmes chaudes dévalant avec plus d’entrain ses joues. Et la voix tremblotante, elle le supplia de faire quelque chose, n’importe quoi, l’essentiel étant qu’il ne meure pas.  

Mais il était impossible à Kalen de faire quoique ce soit pour son état. Il n’avait plus d’énergie. Il l’avait utilisé jusqu’à la dernière goutte pour revenir ici. Pour mourir à la maison, dans son foyer, maintenant qu’il en avait enfin un. Seulement il avait oublié que sa fille y serait aujourd’hui. Ah, comme il aurait voulu qu’elle soit encore dans la forêt à perfectionner sa magie comme il le lui avait demandé il y a un mois avant d’entreprendre ce voyage !

En utilisant ses dernières forces, il leva la main droite et caressa la joue mouillée de larmes de sa fille, mais loin de la réconforter ce geste la fit pleurer d’avantage et l’eau salée se mélangeait au sang qui parsemait déjà son minois. Elle posa à son tour sa main sur celle de son père, sa vue brouillée de larmes, cherchant dans le jais de ses pupilles des réponses à ses questions. Mais son regard semblait de plus en plus livide, presque mortuaire ! 

Kalen avait l’impression de revoir en face de lui sa bien-aimée. Comme Crystal ressemblait à sa mère, Andra, avec ses belles boucles blondes et ses yeux verts électriques. Il lui sembla soudain qu’elle parlait. Que disait-elle ? Il n’en était pas sûr. Il ne l’entendait plus vraiment. 

Elle avait encore tellement de choses à apprendre, il y avait encore tant qu’il lui avait caché. Ah, comme il le regrettait maintenant.

Caches-les, aurait-il voulu lui dire tout de même. Ne les réveille pas. Ne les domptes-pas. Ne deviens pas une tamer. Oh, mon Dieu fait tout ce qu’il te plaira mais ne devient jamais une tamer.

Il avait tant de chose à lui dire et si peu de temps pour le faire. Un filet de sang sorti de sa bouche lorsqu’il voulut parler à nouveau. Elle s’agita une fois de plus et usa derechef de sa magie sur lui. Contrairement à il y a quelques minutes, elle ne cherchait plus à fermer ses innombrables blessures mais plutôt à masquer leur douleur. Le visage crispé de souffrance de son géniteur s’éclaira et très lentement, il s’autorisa à lui sourire. 

Et par son sourire, il espérait qu’elle comprenait, ce qui au fond avait le plus d’importance. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Elle posa cette fois non pas une mais les deux mains sur celle de son géniteur, cette dernière toujours sur sa joue, et laissa échapper un sanglot. Elle parlait de nouveau mais le son ne parvenait toujours pas à Kalen. Tout autour de lui devenait sombre, pardon Atlas, songea-t-il en dernier, et ses yeux se fermèrent dans l’abysse.

Sa main sur la joue de sa fille se laissa tomber. L’adolescente poussa un cri perçant à fendre l’âme. Le cercle que son père avait toujours appelé protection situé sur son front s’effaça et une lumière dorée envahit la pièce.


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